«Nous sommes ce que l’on nous a conté enfants.»
Le monde du 7ème Art béninois a de beaux jours devant lui. L’espoir renaît grâce aux jeunes passionnés du cinéma qui font bouger les lignes afin de redorer le blason du cinéma du Bénin. Dans leurs rangs, on retrouve un jeune dont la polyvalence étonne plus d’un. Son expérience immense malgré son jeune âge fait de lui, une personne très sollicitée. Il est partout à la fois et sa suractivité ne le pousse point à la défaillance. Il est très efficace parce que doté d’un sens organisationnel poussé et amoureux du travail bien fait. Il venait de signer un nouveau film ‘’ZanKlan’’ qui est compétition sur le Festival Rencontre des Belles Images Africaines à Parakou (REBI@P) au Bénin et sur le Festival Dakar Court, sera projeté dans plusieurs pays en cette fin d’année. C’est de ce court métrage de 9 minutes qu’il nous parle ici. Lisez plutôt.
Présentez-vous à nos lecteurs
Je suis Arcade Assogba, réalisateur et producteur de films, passionné d’écriture et de nouveaux médias. J’ai monté à Cotonou, depuis l’année 2012, une société de production et de distribution de films, Kiti-Kili Films, qui pour le moment, n’a produit que deux de mes propres courts métrages : ZanKlan et La Traversée… Certaines autres œuvres sont en phase de postproduction. Mais nous sommes assez sollicités ces-temps-ci par les collègues relativement plus jeunes que moi. Alors nous avons décidé de donner un coup de pouce à ceux qui nous font confiance tant pour le développement de leurs projets de film respectifs que pour la production et la distribution. Notre option, c’est le cinéma indépendant ; c’est aussi la révélation de jeunes talents. Nous travaillons encore à asseoir l’écosystème idoine pour contribuer à la culture des jeunes passionnés de récits et de cinéma comme nous, mais aussi concrétiser leur désir de faire réellement des films. C’est un vaste programme, je conviens. Extra large ! (rire)
S’il vous était donné de parler davantage de vous-même, que diriez-vous ?
Que je suis par ailleurs président d’une association culturelle dénommée Kitikili qui œuvre pour le développement du cinéma en zone urbaine et périurbaine du Bénin. Depuis 2010 je me suis investi dans l’animation des ciné-clubs. Un premier dénommé « Quintessence » avait lieu à l’Institut français du Bénin, à Cotonou, puis, un second, Regards d’Afrique, tenait ses séances au Centre culturel Artisttik Africa fondé par le grand frère Ousmane Alédji et dont j’ai été tour à tour responsable de la Web Tv éponyme, administrateur, puis directeur exécutif depuis le début de l’année 2018. Cette expérience d’animation de ciné-club se poursuit à travers « Les COURtS du Soirs », qui est une composante du Ciné-Club Les FILmS du Soleil. « Les COURtS du Soir » constituent un programme de ciné-débat autour des courts métrages essentiellement. La première saison se déroulera au centre culturel Artisttik Africa de novembre 2019 à juillet 2020.
J’ai étudié le cinéma à l’Institut cinématographique de Ouidah – L’ICO – qui était le pôle pédagogique du fameux Festival International du film de Ouidah – Quintessence, dont nous sommes nombreux à regretter la fin de l’histoire. J’espère vivement qu’il va renaitre un jour de ces cendres tel un phénix.
Comment se porte selon vous le monde de la réalisation au Bénin ?
Vous voulez dire l’industrie du cinéma, la réalisation n’étant qu’un de ses sous-maillons ? Comme vous le voyez ! Très peu de films en salles qui n’existent presque pas. Un grand film en moyenne tous les deux ans, généralement issu de production étrangère, mais aussi, bien entendu, les prouesses de nos ainés Sylvestre Amoussou, Jean Odoutan, Idrissou Mora Kpaï qui, ces dix dernières années, ont produit quelques grandes œuvres dont certaines tournées en scope d’ailleurs. Il faudra compléter Djimon Hounsou et son film documentaire sur le vodou à la liste.
Sinon, plusieurs écoles de formation appartenant aussi bien à l’Etat qu’aux privés, et un fort enthousiasme des jeunes. Ce qui laisse entrevoir quelque chose de bouillonnant dans les années à venir. Mais vous savez, le cinéma, l’audiovisuel, c’est partout maintenant dans nos vies. Au-delà des sphères artistiques. Bref, les réalisateurs ce n’est pas ce qui manque au Bénin. La question est : qu’est-ce qui se produit ? Où est-ce que ce qui se produit est montré ? Sur quelles télés, sur quels festivals ? Sont-ce ce que l’on voit aux Rebi@p à Parakou ? (rire) Quid de Malanville, Ouaké, Natitingou, Kétou, etc. ?
Que faut-il faire selon vous pour que rayonne le cinéma béninois ?
Je crois qu’il faut d’abord former le public béninois d’aujourd’hui et de demain. Il faut innerver en priorité le secteur de l’éducation de cinéma, d’histoire du cinéma, de héros nationaux, et de culture générale. C’est le local qui compte selon moi. Je suis fanonien dans la démarche : s’autocentrer au local facilite le rayonnement à l’universel. C’est comme ce précepte souvent martelé en développement personnel : C’est la confiance en soi qui constitue la clé du succès. Le soi c’est le local à l’échelle pays, ville ou quartier. Le rayonnement c’est la vague que crée votre succès depuis le quartier, la ville, le pays vers les périphéries ou, sinon, vers d’autres centres. Vous avez bien fait à ce propos de parler de rayonnement. Pour qu’il y ait des rayons, il faut bien qu’il y ait une source d’énergie, une condensation de lumière quelque part voyez-vous ? Il faut donc qu’il existe d’abord un véritable cinéma béninois. Sans public, pas de cinéma dans un contexte où les techniciens sortent par dizaine des écoles, dont certaines coutent les fesses du diable, pour aller gonfler le nombre des glandeurs au quartier. C’est quand même de l’Entertainment aussi, le cinéma. Il faut un véritable besoin du public. Et ça se fabrique, ce besoin. Par la culture idéalement. Par une volonté politique. C’est une question de paradigme, de programme de société. Voilà ce que je pense.
Vous venez de signer un film intitulé ZanKlan. Que peut-on retenir de ce film ?
C’est un court métrage qui tente de psychologiser la résilience des enfants travailleurs. Le récit se déroule dans une forge artisanale située non loin de ma maison, à Cotonou, ma ville natale que j’apprends à aimer malgré tout. A ce sujet, Camille Amouro, l’écrivain, m’a fait la démonstration un soir autour d’une pensée qu’il théorise par « L’appel du placenta ». Le lieu de naissance est une terre qui vous happe de façon idyllique selon lui. En particulier dans nos contrées où tout un rituel entoure l’enfouillissement du placenta après la naissance du bébé. Plus vous vous en éloignez, plus votre retour au bercail vous donne le sentiment d’une revisitation de la matrice, avec des effets optiques de ré-accaparement invisibles mais sensibles. Bref, mon film parle de cauchemar et de rêve, d’éclairci dans la nuit, de fer et de foi, du feu et de l’eau, du chaud et du froid, de nos mères et de nos sœurs qui incarnent nos sources d’espérance, de la couleur et de l’absence de couleur, du passé et du futur, de la puissance des contes, des récits intemporels. Nous sommes, je le crois, ce que l’on nous a conté enfants.
Le fond de ce récit cinématographique est un Ying et yang subtil. J’espère que le spectateur le percevra. En tout cas, c’est dans ce sens que je l’ai pensé et fabriqué avec des personnes admirables, mes amis, mes grands frères et les membres de ma famille. J’en profite pour rendre un hommage ému à notre regretté et irremplaçable maître Grégoire Marie Noudéhou qui en a signé le décor. Il avait pour assistant Makef, l’artiste peintre. C’était un pur bonheur de travailler directement avec autant d’esprits, sans compter tous ceux qui, autour du plateau, apportaient ressources et soutien moral. C’était également l’occasion d’une collaboration artistique pure et marquante avec Maestro Méchac Coffi Adjaho qui a fait la musique du film. C’est époustouflant ! C’est du grand art. C’est succulent.
D’où est-ce que l’idée vous est venue de mettre en mouvement ces faits sociaux ?
Justement, l’enfance difficile, malheureuse est caractéristique de notre société. Du phénomène des enfants placés Vidomègon à la nébuleuse affaire de trafic des enfants béninois en direction du Gabon qui a défrayé la chronique en 2001. J’ai d’ailleurs travaillé avec une grande réalisatrice allemande, Heidi Specogna, sur le sujet de 2007 en 2009. J’étais son assistant mais il ne m’était pas permis d’être présent dans le marché où je suis allé faire ce court métrage huit ans plus tard. Tellement filmer ces jeunes enfants travailleurs était entouré de protocole ; ce qui est tout à fait logique. Mais il se fait que ce lieu se trouve dans mon quartier ; que je fais un jogging matinal quotidien depuis toutes ces années en traversant ce marché ; qu’en dix ans, j’ai vu des apprentis devenir patrons ; que certaines nuits, souvent tard, ces jeunes apprentis se regroupaient sur l’esplanade du marché pour jouer de la musique folklorique pour ainsi dire. J’ai pensé longtemps : d’où tirent-ils cette force, cette puissance, ce bonheur de vivre ? J’ai pris des notes sur de nombreuses années et je me suis projeté dans leur psychologie. J’ai fait jouer aux jeunes leur propre rôle.
Je ne suis pas dans la dénonciation au premier degré. Je suis choqué certes mais curieux et admiratif de ces petits frères pris dans la ferraille d’une société qui réprime plus qu’elle ne prime. C’est cela ZanKlan, Nuit Séparer, qui peut signifier l’éclairci. J’ai appris entre-temps que c’est un nom de noblesse dans l’ancien royaume de Porto-Novo. Pour moi, c’est assez juste pour ce bout d’histoire fictionnelle qui a tout l’air d’un documentaire.
Comment ce film sera diffusé, vous y avez pensé ?
Kiti-Kili films s’en occupe. Il est simultanément diffusé à Cotonou et à Parakou en décembre, dans deux festivals que j’ai vus naître et grandir : Le Festival international du cinéma numérique de Cotonou – FICNC, et les Rebi@p. Mais avant, il a été montré sur l’Ile de la Réunion dans un festival dénommé Court derrière. Il sera ensuite à Dakar puis au Burkina-Faso dans deux festivals réputés : Dakar Court et le Festic. Sa première béninoise a eu lieu le 28 novembre 2019, au centre culturel Artisttik Africa qui l’a engendré. Nous l’enverrons partout au monde, sur différents festivals avant d’aller vers les télévisions. Il y trop de vitrines pour les courts à travers le monde. Même si ce n’est pas pour faire du fric. On ne fait pas fortune avec des courts métrages. Hélas ! Pourvu que les télés du Bénin ne nous demandent pas de les payer avant qu’il soit diffusé quand nous irons vers elles le moment venu (rire).
Vos projets à court, moyen et long terme ?
J’ai deux films documentaires dans le pipe comme on dit. J’ai aussi un projet de série historique que Camille Amouro m’a suggérée et dont il a commencé l’écriture des premiers épisodes. C’est un travail que nous allons poursuivre ensemble. Nous allons, j’espère, le développer et le produire bientôt. Je suis par ailleurs sollicité comme premier assistant réalisateur par quelques grands auteurs sur des films béninois, vous allez avoir une surprise en 2020, mais aussi étrangers. Sur ce plan, un excellent réalisateur avec qui j’ai eu à travailler par le passé souhaite que je l’accompagne sur ses prochains longs métrages qui vont se tourner au Togo, en Côte d’Ivoire et au Nigéria. Tout ceci déterminera les prévisions à long terme.
Propos recueillis par Patrick Hervé YOBODE, journaliste culturel et critique de cinéma.
L’entretien a été publié dans le quotidien béninois L’opinion aujourd’hui N°684 du 20 nov. 2019 et sur le blog personnel du journaliste : https://yobode06.blogspot.com/2019/11/entretien-avec-arcade-assogba-propos-de.html
NB: Nous avons actualisé quelques petites informations contenues dans le texte original avant la mise en ligne actuelle.